DIDIER LOCKWOOD : APESANTAR

Didier Lockwood en plongée jazz-rock pour son dernier opus, Apesantar, qui s’ouvre sur Yellosphories, majestueuse introduction d’esprit post-Weather Report, ourlée d’un swing élégant à la Jon Hassell : décidément les sortilèges de In a Silent Way ne sont pas près de s’éteindre… Le violoniste attend un peu, puis se lance dans un solo explosif, largement électrifié du plus bel effet avec Tambura, rejoint par la batterie furieuse d’André Charlier. Ça plane au firmament avec Incertitude, sur les cordes glacées de son instrument, pour rapper un brin sur Turbulion. Ailleurs, les sources vocales sont masquées : indiennes, dans Py 538 ou orientales dans Shantideva ? Qu’importe, nulle pause dans cette succession de morceaux qui se bousculent et se transforment en un long périple où l’instrument résonne avec gravité (n Process) ou swingue gaillardement – Snotnot. Avec Moon Fever Lockwood s’affiche en « Petit-Fils » spirituel de Grappelli, toujours capable de reprendre le flambeau d’un violon naturellement ensoleillé. Si McLaughlin n’était pas loin dans l’emportement givré de Tambura, il revient en force dans Phantom of the hip hop et rat, après un détour par la nébuleuse Chant de Cinabre, avec la voix synthétisée de Patricia Petibon – à notre goût trop vite expédiée. On réclame donc une suite !

Didier Lockwood : Apesantar. Frémeaux & Associés FA 8528 (Frémeaux), 52’. Poissons d’or

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LAARAJI : Essence/Universe

Brian Eno, encore lui (!), nous l’avait fait découvrir en publiant dans sa collection « Ambient » son premier album Day of Radiance, en 1978. Ce fut un tel succès que Edward Larry Gordon, plus connu sous le nom de Laraaji, né à Philadelphie, formé dans le New Jersey puis à l’université Howard (Washington), devint un spécialiste de la méditation à travers la musique « céleste » qu’il tire de sa cithare électronique… D’ailleurs, l’été dernier, invité en Suisse, avant son concert, il proposait une séance de méditation selon un concept dont il est l’auteur : la thérapie par le rire, avec la recommandation de « s’habiller confortablement pour se préparer à un moment de bien-être et d’amusement ». Ce même festival suisse l’avait programmé avec un autre de ses compatriotes, Sun Araw, au sein d’une soirée commune baptisée « Musique moderne transcendantale », ce qui reflète une partie de l’activité de Laraaji, puisqu’on le retrouve associé aussi bien la scène indépendante Blues Control qu’à Michael Brook, Bill Laswell et au groupe de reggae (japonais !) Audio Active. Fondateur du label All Saints, Eno réédite et publie depuis 1991 une foule d’artistes d’horizons divers, dont Laraaji et son Essence/Univers, enregistré et publié en 1987 sur Passport/Auction, label plus que confidentiel aujourd’hui disparu. Venu du jazz psychédélique de Sun Ra et influencé par la harpe d’Alice Coltrane autant que par sa dévotion spirituelle, Laraaji a développé son propre style, tourné vers la transcendance – ce que reflètent magnifiquement les deux longues plages de ce CD où il s’agit de s’immerger dans un espace qui tient autant de la musique spectrale que de l’électronique trip-hop, du rock planant que du raga indien. Prêt à « rire avec Laraaji » en musique ?

Laraaji : Essence/universe. All Saints WAST 037 CD (Pias), 60’. Choc.

Laraaji CD Essence Universe [BD]

ASTRID : The West Lighthouse is not so far – MANYFINGERS : The Spectacular Nowhere

Déjà remarqué par son dosage savoureux d’ambiances cotonneuses à souhait au sein du EP Butterfly in the Snowfall (2014, Home Normal), cosigné avec un Sylvain Chauveau à la voix toujours aussi charmeuse, le duo guitare/batterie Astrïd, constitué de Cyril Secq et Yvan Ross, devenu quatuor, avec l’arrivée de la violoniste Vanina Andréani et du clarinettiste Guillaume Wickel, retrouve son style cool et décontracté pour un tout aussi bluffant The West Lighthouse is not so far – sauf erreur, son quatrième album. Atmosphères capiteuses et toujours aussi éthérées – la batterie a quasiment disparu sous les vapeurs narcotiques du violon, de la clarinette et de la guitare. Maître d’œuvre de ce nouvel opus, Cyril Secq a particulièrement soigné le mixage, en ajoutant quelques accords de claviers (Rhodes, synthé et harmonium) : autant de diaprures psychédéliques pastel, entre jazz minimaliste des années soixante-dix et folk alangui. Sommet de cet album, le magnifique Ouest, qui est à Astrïd, ce que A Saucerful of Secrets était à Pink Floyd : un astre mystérieux et incandescent jeté dans une nuit profonde. D’ailleurs, est-ce un hasard si le titre dérive de celui d’un des premiers tableaux d’Edward Hopper, The Lightouse at Two Lights, où le peintre excelle à restituer une sensation de profondeur intérieure dans la représentation d’un phare, isolé sur la colline ? Suivez la lumière d’Astrïd.
Autre ovni, The Spectacular Nowhere de Manyfingers célèbre l’art sonore du multi-instrumentiste Chris Cole, qui entrelace cordes et vents sur des rythmiques implacables (il fut le batteur du premier album What’s the Price ? du groupe Numbers Not Names), quand la voix « petergrabielienne » de David Callahan ne vient pas déposer le baume d’un refrain répétitif (Erasrev) sur les blessures d’une musique épileptique – qui revisite l’esprit du rock progressif britannique de l’École de Canterbury de la fin des années soixante.

Astrïd : The West Lightouse is not so far. Monotype Records 087 (Dense Music, France), 62’. CHOC

Manyfingers : The Spectacular Nowhere. Ici d’ailleurs… MT02 (Differ-ant), 59’. ****

CD Astrid The-West-Lighthouse-is-not-so-far [bd]CD manyfingers-the-spectacular-nowhere [bd]